Parmi les jeunes générations de catholiques, beaucoup expriment une forte soif de sacré. Et pour répondre à ce désir, ils n'hésitent pas à se tourner vers le rite extraordinaire de la messe. En témoigne le succès de la dernière édition du pèlerinage de Chartres, où la moyenne d'âge était de 21 ans. Les milieux traditionalistes entretiendraient un certain sens du sacré : mais qu'est-ce que le sacré ? Et qu'est-ce qui est sacré à la messe ?
Le 25 mai dernier, juste avant le week-end de Pentecôte, le journal La Croix révélait que les jeunes français qui participent aux JMJ de Lisbonne sont plutôt conservateurs et que 38% d'entre eux disent apprécier la messe en latin. Deux jours après, s'élançait depuis Paris la longue file des pèlerins de Chartres, où la moyenne d'âge était de moins de 21 ans. L'étude de La Croix et le pèlerinage de chrétienté ont mis en lumière des jeunes générations de catholiques et leur soif de sacré. Mais qu’est-ce qui est sacré dans la messe ? En quoi la messe est-elle importante dans la vie d'un croyant ?
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"La notion de sacré comme telle n’est pas une notion proprement biblique, rappelle le Père Louis-Marie Chauvet, professeur émérite à l'Institut catholique de Paris et auteur de "La messe autrement dit - Retour aux fondamentaux" (éd. Salvator, 2023). Ce sont les dieux païens qui étaient sacrés, les personnes..." Le principe du sacré c’est de mettre quelque chose "à part", de l’arracher "au caractère profane en quelque sorte, ou au trop humain, pour faire office d’intermédiaire entre l’humain et Dieu".
Qu'est-ce "le" sacré ? Le Père Louis-Marie Chauvet rappelle que c’est le sociologue Émile Durkheim (1858-1917) qui a employé le premier ce terme de "sacré" comme un substantif "pour désigner une sorte de force anonyme qui surplombe une foule lors d’un événement important" et "pas nécessairement religieux". Auparavant, "sacré" était utilisé comme un adjectif : on disait d’un objet ou d’un lieu qu’il était sacré.
Le risque avec le sacré, c'est "de se focaliser dessus" et de finir par "s’y perdre", estime le Père Chauvet. Par exemple, "une messe paroissiale peut devenir une sorte de messe quasi pontificale avec profusion d’encens et de servants d’autel…" Or, dans la Bible, ce qui est majeur, c’est "la sainteté, la sanctification" : il s’agit de "sanctifier le quotidien", rappelle le prêtre. Ainsi, on peut avoir besoin de sacré, on peut aimer les belles célébrations "à condition, pour le Père Chauvet, que tout ceci soit au service d’une visée qui est bien plus importante, qui est celle la sanctification du profane dans la vie familiale, professionnelle, etc."
Dans ma génération - j’ai 81 ans - nous partions, si j’ose dire, de trop d’Église, de trop de morale, de trop de doctrines, de trop de prières tout le temps... Vatican II nous a offert cette chance d’ouvrir les fenêtres
Il y a près d'un an, le 29 juin 2022, le pape François publiait sa lettre apostolique "Desiderio desideravi", où il appelait à abandonner les polémiques au sujet de la liturgie. Cela faisait suite à la publication en juillet 2021, de "Traditionis custodes", son motu proprio par lequel il restreignait la possibilité de célébrer la messe selon le rite extraordinaire. Mais depuis le succès du pèlerinage de Chartres, la polémique est relancée, du moins parmi les catholiques de France, à coups de tribunes dans la presse chrétienne. Pourquoi la messe suscite-t-elle autant d’attente autant de crispations ? Pour certains, il y a une dimension politique. "Derrière les questions liturgiques, c’est bien un rapport politique à la modernité qui se joue", pouvait-on lire dans une tribune publiée par La Croix.
"Dans ma génération - j’ai 81 ans - nous partions, si j’ose dire, de trop d’Église, de trop de morale, de trop de doctrines, de trop de prières tout le temps, raconte le Père Chauvet, Vatican II nous a offert cette chance d’ouvrir les fenêtres, comme disait Jean XXIII : nous ne nous sommes pas contentés d’ouvrir les fenêtres, nous avons ouvert les portes, nous avons même renversé les murs !" Le prêtre observe que les jeunes générations viennent "au contraire de pas assez : pas assez d’Église, pas assez de rites, pas assez de prière…" C’est ce qui explique selon lui ce "besoin identitaire" : à ses yeux, "on peut parfaitement [le] comprendre !" Retrouver une identité à travers les rites, cela peut être vu comme légitime - le Père Chauvet souligne toutefois la nécessité de créer des "ouvertures".
La messe "n’est ni un point de départ ni un point d’arrivée mais un point de passage, décrit le Père Louis-Marie Chauvet, mais je qualifierais doublement ce point de passage comme à la fois obligeant et obligé". "Obligeant" parce qu’à la messe, il s’agit "d’accueillir ce qui est en jeu", la parole d'un Dieu d'amour qui "vient à notre rencontre". Dieu se donne et c'est ce qui "nous oblige à la reconnaissance", que l’on exprime notamment par la louange. Mais qui "doit déboucher sur autre chose", sur "la vie elle-même". En quoi la messe est-elle "un passage obligé" ? C’est que pour les chrétiens, la générosité est "greffée sur celle de Dieu en Christ", "pour que ce soit notre vie qui devienne comme un sacrifice spirituel à la gloire de Dieu".
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